Si l’enfant suppose que le père a le phallus, ce qu’il déduit, c’est que le père n’est plus celui qui prive la mère de l’objet phallique qu’elle était supposée avoir avec cet enfant. Le père n’est plus privateur. Et tant que ce père est supposé détenir le phallus, il réinstaure le phallus à l’unique place où il y a une valeur structurante pour l’enfant. C’est la place où cet objet peut être désiré par la mère. L’enfant se fait à cette idée que si la mère désire le père, c’est parce qu’il est supposé avoir ce qui est supposé manquer à la mère. Ça permet à l’enfant de repérer la place exacte du désir de la mère. Ce qu’il découvre c’est que le désir de la mère fonctionne surtout avec le père et accessoirement avec lui. Et que les choses sont comme ça, un point c’est tout. Le témoignage de la réalité le renvoie toujours à ce manque-là et il faut bien qu’il finisse par l’accepter. Et l’accepter, c’est accepter tout l’enjeu imaginaire qui y est suspendu, à savoir que le père est supposé avoir le phallus, la mère est supposée désirer le père parce qu’il est supposé l’avoir ce phallus et que c’est ce qu’elle cherche. Et du même coup, l’enfant se trouve être mis complètement à l’extérieur de la question phallique. Elle se posera désormais pour lui en ces termes : on l’a ou on ne l’a pas.
Et c’est pour ça qu’on peut dire que cette problématique de l’avoir, c’est ce qui va appeler le jeu des identifications de l’enfant selon son sexe. L’enfant s’inscrit dans le registre de l’avoir de manière différente selon son sexe.
Le garçon renonce à être le phallus de la mère, en y renonçant, il s’engage dans la dimension de l’avoir en s’identifiant au père (celui qui est supposé le détenir). La fille peut renoncer à être le phallus de la mère, elle s’engage dans la dimension de l’avoir sur le mode de ne l’avoir pas. C’est pour ça qu’elle peut trouver une identification possible à la mère dont elle pense qu’elle ne l’a pas non plus. Mais par contre, qu’elle peut l’avoir en désirant un homme. Comme la mère est supposée trouver cet objet auprès du père en le désirant parce qu’il est supposé l’avoir.
La remise en place du phallus (à la place où il a une fonction structurante) est structurante pour l’enfant quel que soit son sexe. Pour la raison suivante : c’est que quel que soit le sexe de l’enfant, le père s’est fait préférer à l’enfant auprès de la mère. C’est comme ça que l’enfant le vit. Et si le père a réussi à se faire préférer auprès de la mère, c’est parce qu’il est supposé avoir cet objet phallique. Et c’est cette préférence qui va entériner le passage de l’être à l’avoir. Cette préférence, c’est ce qui témoigne à proprement parler de la mise en place de la métaphore du nom du père. C’est un processus psychique par lequel l’enfant symbolise la loi, c’est-à-dire par lequel l’enfant accède à la signification de l’interdit de l’inceste. Et du même coup renonce à l’inceste.
Ce processus de métaphorisation est directement dépendant du refoulement originaire ou refoulement primordial. La métaphorisation du nom du père ne peut se réaliser que sur la base d’un refoulement qui, par définition, est originaire, en raison des conséquences qu’il a.
C’est Freud qui a découvert comment s’effectuait cette opération qui permet à l’enfant de renoncer à la mère comme objet de désir, d’accepter l’interdit de l’inceste, d’accéder au symbolique. Freud l’appelait le Fort-Da. C’est une activité ludique de l’enfant, c’est l’incarnation de cette métaphorisation. Ce qui permet de s’assurer que c’est bien l’incarnation, l’illustration de cette métaphorisation, c’est que, à travers le Fort-Da l’enfant témoigne de son accès au symbolique, de sa maîtrise du symbolique de l’objet perdu, c’est-à-dire la mère. Ce jeu du Fort-da est décrit dans « Au-delà du principe de plaisir », in Les essais de psychanalyse.
Observation de l’enfant jouant avec la bobine
Disparition et réapparition
Freud l’interprète comme permettant à l’enfant de supporter le départ de la mère. L’enfant reproduit à l’aide d’objets qu’il a sous la main, la scène de la disparition et la scène de la réapparition. C’est une double métaphore. La bobine, c’est ce qui métaphorise la mère et le jeu de présence-absence est une substitution métaphorique du départ et du retour de la mère.
Le plus intéressant, c’est le point que relève Freud en mettant en évidence que dans ce jeu, l’enfant a complètement retourné la situation à son avantage. Il se trouvait devant cet événement dans une attitude passive. Et voilà qu’il assume un rôle actif en le reproduisant sous la forme du jeu. C’est dans ce processus-là que l’enfant témoigne qu’il est capable d’effectuer des métaphorisations, mais témoigne surtout qu’il a maîtrisé symboliquement l’absence et le retour de sa mère. Pour reprendre l’expression de Lacan : l’enfant s’est rendu maître de l’absence. Toute la jubilation de l’enfant, c’est ce qui témoigne de cette maîtrise. Ça lui a permis d’accepter une situation qui était essentiellement et exclusivement affective en la transformant en une activité ludique. Et le bénéfice de cette transformation symbolique, c’est que c’est lui qui est maître de cette affaire désormais. Du même coup, s’il est maître de cette absence, il devient maître de son désir.
L’enfant a enfin maîtrisé de ne plus être le seul et unique objet du désir de la mère, de ne plus être l’objet phallique de la mère. Et s’il a réussi à acquérir cette maîtrise, c’est une opération dont il bénéficie immédiatement. Pour autant qu’il n’est plus pris lui-même dans cette interrogation interminable d’être ou ne pas être le phallus de l’autre, pour autant qu’il ait enfin accepté qu’il ne l’était pas, c’est tout son désir qui va se mettre à fonctionner autrement. Puisqu’il a renoncé à cet objet perdu, ce renoncement lui ouvre enfin la possibilité de désirer d’autres objets pour lui cette fois-ci.
Il n’est plus objet du désir de l’autre, il devient sujet désirant. Sous cette seule condition, celle de renoncer à être l’objet du désir de l’autre. Et d’ailleurs, l’enfant s’emploie immédiatement à élire des objets substitutifs, interminablement.
C’est une aventure vers la connaissance. La meilleure des preuves en est que ce travail de métaphorisation qu’il fait à travers ce jeu, ça signifie qu’il maîtrise enfin les opérations symboliques, certes à un niveau élémentaire, mais le fait qu’il ait acquis cette maîtrise, c’est une maîtrise qui ne peut être amenée qu’à se développer. L’effet le plus spectaculaire et le plus immédiat, c’est l’accès et la pratique du langage de l’enfant.