La naissance de la psychanalyse (20)

Cette oscillation dans laquelle l’enfant se retrouve, puisque c’est une oscillation sur la question de sa propre identité phallique, c’est donc forcément une oscillation sur la question de la castration. Poser la question être ou ne pas être le phallus c’est strictement identique à poser la question être ou ne pas être castré, ou castrable. Et ce que l’enfant découvre c’est que l’introduction de cet aspect de la question est une introduction qui est directement liée à la présence du père. C’est de ce côté-là qu’il pourra recevoir une réponse.

 

Cette intrusion de la figure paternelle est d’abord vécue par l’enfant sur le mode de l’interdiction. Le père apparait comme père à l’enfant d’abord parce qu’il est un père interdicteur.

Dans le vécu psychique de l’enfant, le père est d’abord immédiatement saisi comme un gêneur et très rapidement, ce père gêneur lui apparait comme interdicteur.

 

Qu’est-ce qui fait qu’un père qui apparait comme interdicteur est simultanément vécu par l’enfant comme un père privateur ?

Tout simplement parce que l’intrusion du père réalise (au sens de rendre réel) quelque chose auprès de l’enfant qui jusqu’à présent lui avait échappé. A savoir que la présence paternelle entérine bien l’incertitude de l’enfant du côté de son identité phallique.

Autrement dit, cette incertitude très rapidement, en raison de la présence du père, se traduit psychiquement chez l’enfant, par le fait que c’est le père qui interdit quelque chose qui, jusqu’à maintenant semblait bien fonctionner avec la mère. Il interdit du seul fait qu’il est là. Le résultat de cette présence interdictrice, c’est, au bout d’un certain temps, de faire chuter l’incertitude au bénéfice d’une certitude, c’est que l’enfant n’est pas ou n’est plus le seul et unique objet du désir de la mère. L’enfant est privé de cette identification phallique.

Remarque : Différence entre frustration-privation-castration

Cette distinction est bien nette chez Freud. Lacan a fait apparaitre à quel point, dans l’œuvre de Freud, ces trois termes renvoyaient à ce que Lacan appelle des catégories de manque différents.

Voir dans le séminaire : « La relation d’objet » 1956-57. In les séminaires du 5 au 12 décembre 1956.

 

Ces trois termes signifient un manque de l’objet. On est frustré d’un objet, castré d’un objet ou privé d’un objet. Ce qui fait que ces trois manques ne sont pas superposables, c’est que dans les trois cas, l’objet est différent, la nature de l’objet est différente selon l’un de ces trois registres. Mais la nature même du manque l’est aussi.

  • La frustration

La frustration se caractérise toujours de la même manière, d’abord par une revendication. L’indice de la frustration, c’est la revendication.

C’est une revendication d’un certain genre, puisque aucune possibilité de satisfaction ne pourra jamais être donnée à la frustration.

Et ceci pour une raison simple, c’est que le manque qui est revendiqué dans la frustration, c’est un manque imaginaire.

Par contre, l’objet qui est revendiqué, lui, est un objet réel.

Par exemple : la revendication du pénis par la petite fille, c’est la frustration. La petite fille vit la différence des sexes sur ce registre-là. Avant de rentrer, bien sûr, dans le processus de la symbolisation de la castration.

De ce point de vue-là, on voit bien que la nature du manque est imaginaire, puisqu’il ne manque de rien, mais que par contre l’objet qui est supposé manquer, lui est bien réel.

On peut donc dire que la frustration c’est le manque imaginaire d’un objet réel.

 

  • La privation

La nature du manque est réelle.

Mais l’objet dont on est privé, lui, est objet symbolique.

La privation, c’est le manque réel d’un objet symbolique.

Exemple donné par Lacan : sur les rayons d’une bibliothèque, il manque un livre, celui que vous cherchez. A sa place, il y a un trou, un vide. Vous êtes privé du livre.

 

Le manque est réel, quant à l’objet, il est évidemment symbolique parce qu’on ne peut pas dire qu’un livre est un objet imaginaire, c’est même un objet hautement symbolisé (un objet réel, s’il est objet pour vous, est symbolique).

 

  • La castration

La nature du manque, dans la castration, est symbolique (Il n’y a pas plus symbolique que l’interdit de l’inceste).

L’objet de la castration est un objet imaginaire, c’est l’objet phallique.

La castration, c’est le manque symbolique d’un objet imaginaire.

Dans la castration, la nature du manque dont il est question c’est aussi ce qu’on appelle la dette symbolique.

Le manque qu’on est bien obligé d’affronter, au niveau de la castration, c’est toujours ce qui se traduit plus tard, chez n’importe quel sujet, par ce qu’on appelle la dette symbolique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La dette symbolique, c’est la dette que tout sujet entretient à l’endroit de la transgression de l’interdit. Parce que ce n’est pas parce qu’on le respecte qu’on n’a pas envie de le transgresser.

Voir Totem et Tabou

Cette dette, on la retrouve toujours dans toute l’histoire des sujets, plus ou moins bien dissimulée. Mais il est bien évident que l’on ne peut pas rencontrer et accepter et symboliser la castration sans se retrouver d’une certaine manière dans la dette. Parce que pour autant que l’interdit soit là, le désir, lui, continue à fonctionner. Et ce désir-là rend coupable. Et rendant coupable, ça nous inscrit dans la dette au moins vis-à-vis de ce désir et du même coup vis-à-vis du père, puisque c’est ça que l’on convoite.

 

Par exemple, l’obsessionnel, c’est quelqu’un qui passe sa vie dans la dette. Il est toujours coupable de quelque chose qui traine, qu’il est incapable de définir. Mais, en même temps, on voit très bien qu’il est toujours prêt à relever n’importe quel défi pour destituer un maître de sa place, pour prendre la sienne. D’où ces combats ridicules, dérisoires, imaginaires mais qui occupent des existences entières.

 

De quoi est-il question ici ?

Il est évident que le versant combatif où la rivalité est mise en avant, c’est le versant tout à fait œdipien, à savoir ce versant où l’enfant conteste l’existence du père comme celui qui serait un ayant droit au niveau de la mère.

Et, en même temps, ayant symbolisé la loi et l’interdit, le fait même d’essayer constamment de rivaliser avec ce père et tous les substituts possibles capables de le représenter par la suite, c’est forcément quelque chose qui le renvoie toujours à la dette, à la culpabilité de la transgression de l’inceste.

Chez l’obsessionnel, ces deux dimensions sont presque caricaturales tellement elles sont mises en avant en permanence.